Page:Emerson - Société et solitude, trad. Dugard.djvu/205

Cette page a été validée par deux contributeurs.

manières pour la formuler. Chaque fois que nous disons une chose dans la conversation, nous acquérons une supériorité mécanique en la détachant et l’exprimant nettement. J’apprécie ce mécanisme de la conversation. Ce sont des poulies, des leviers et des hélices. Bien dégager la masse et la précipiter retentissante, roc solide — bloc de quartz et d’or que l’on travaillera à loisir dans les arts utiles de la vie — est un merveilleux allégement.

Quels sont les meilleurs jours qui restent dans la mémoire ? Ce sont ceux où nous avons rencontré un compagnon qui l’est réellement. Qu’elles étaient douces ces heures où la journée n’était pas assez longue pour communiquer et comparer nos trésors intellectuels — les passages favoris de chaque livre, les nobles traits de nos héros, les vers délicieux que nous avions accumulés ! Quel aiguillon avaient alors nos jours de solitude ! Comme, après qu’il était passé, le visage de notre ami laissait encore derrière lui une lumière ! Nous nous rappelons le temps où le bien le meilleur que nous pouvions demander à la fortune, c’était de nous rencontrer avec un compagnon de valeur en une cabine de navire, ou durant un long voyage dans la vieille diligence où, tous les voyageurs étant forcés de se connaître mutuellement, et les autres occupations étant hors de question, la conversation coule naturellement, les gens font rapidement connaissance et, s’ils sont bien assortis, deviennent plus intimes en un jour que s’ils avaient été voisins pendant des années.

Durant la jeunesse, dans la passion de savoir et d’acquérir, la journée est trop courte pour les livres et la foule des pensées, et nous supportons impatiem-