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faits pour être donnés ou pris des lèvres ou du bout de la langue, mais le visage enflammé et le cœur palpitant. L’affection devrait les donner et les prendre, la solitude et le temps les alimenter et les mûrir, les héros se les assimiler et les faire passer dans l’action. Ils ne se ramènent pas à des lettres imprimées sur une page, mais sont des caractères vivants qui peuvent se traduire en toutes les langues et les formes de vie. Je les lis sur les lichens et l’écorce des arbres ; je les observe sur les vagues de la grève ; ils volent avec les oiseaux, rampent avec les vers ; je les découvre dans le rire, les rougeurs, les étincelles du regard des hommes et des femmes. Ce sont là des Écritures que par delà les prairies, les déserts, les océans, le missionnaire peut porter en Sibérie, au Japon, à Tombouctou. Cependant il trouvera que l’esprit qui est en elles voyage plus vite que lui — qu’il était là longtemps avant lui. Le missionnaire doit être porté par lui et le trouver là, sinon il voyage en vain. Y a-t-il en ces choses un élément géographique ? Nous les appelons asiatiques, nous les appelons primitives ; mais peut-être est-ce seulement une question d’optique ; car la Nature est toujours égale à elle-même, et il y a maintenant sur notre planète des oreilles et des yeux aussi bons qu’il y en a jamais eu. Seulement, ces élans de l’âme ne se produisent qu’une fois ou un petit nombre de fois par époque, à de longs intervalles, et il faut des millénaires pour faire une Bible.

Ce sont là quelques-uns des livres que les âges anciens et les plus récents nous ont laissés, et qui récompensent du temps que l’on y donne. En comparant le nombre de bons livres avec la brièveté de