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Rabelais, Montaigne, Isaac Walton, Evelyn, sir Thomas Brown, Aubrey, Sterne, Horace Walpole, lord Clarendon, le docteur Johnson, Burke, déversant des flots de lumière sur son temps, Lamb, Landor et De Quincey — liste que naturellement il est facile d’allonger, car elle dépend des goûts individuels. Quand il s’agit de leurs préférences en ces matières, beaucoup de gens sont aussi susceptibles et irritables que des amoureux. En vérité, la bibliothèque d’un homme est une sorte de harem, et je remarque que les lecteurs délicats ont une grande pudeur à montrer leurs livres à un étranger.

Les annales de la Bibliographie fournissent de nombreux exemples du développement insensé que la passion des livres peut prendre, quand le plaisir légitime que donne le livre est transféré à une édition rare ou à un manuscrit. Cette folie atteignit son point culminant vers le commencement de ce siècle. Pour un autographe de Shakespeare, on donna cent cinquante-cinq guinées. Au mois de mai 1812, on vendit la Bibliothèque du duc de Roxburgh. La vente dura quarante-deux jours et — nous abrégeons le récit de Dibdin — parmi les nombreuses curiosités, se trouvait un exemplaire de Boccace, publié par Valdarfer, à Venise, en 1471, seul exemplaire parfait de cette édition. Parmi le public distingué qui assistait à la vente se trouvait le duc de Devonshire, le comte Spencer, et le duc de Malborough, alors marquis de Blandford. La mise à prix était de cinq cents guinées[1]. « Mille guinées », dit le comte Spencer. Et « dix », ajouta le marquis. Vous auriez pu entendre tomber

  1. La guinée vaut environ vingt-cinq francs (T.)