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vains secondaires fussent perdus — par exemple, en Angleterre, tous, excepté Shakespeare, Milton, et Bacon — car la réflexion serait plus profondément attirée vers ces merveilleux esprits. Avec son propre génie pour guide, que l’étudiant lise un livre ou qu’il en lise beaucoup, il lira avec profit. Le Dr Johnson disait : « Pendant que vous vous arrêtez à délibérer quel livre votre fils devra lire tout d’abord, un autre garçon aura lu les deux : lisez n’importe quoi cinq heures par jour, et vous serez bientôt savant. »

En ce domaine, la Nature se montre grandement notre amie. La Nature clarifie toujours son eau et son vin. Il n’est pas de filtrage qui puisse être aussi parfait. Elle agit avec les livres comme avec le gaz et les plantes. Il se fait toujours une sélection parmi les écrivains, puis une sélection dans la sélection. En premier lieu, tous les livres qui entrent franchement dans le courant vital du monde ont été écrits par la classe heureuse, par la classe qui affirme et qui va de l’avant, qui formule ce que des milliers sentent, quoiqu’ils ne puissent le dire. Il y a déjà eu un examen sévère, un choix parmi des centaines de jeunes auteurs, avant que la brochure ou l’article politique que vous lisez dans un journal éphémère arrive sous vos yeux. Tous ceux-ci sont des jeunes gens entreprenants qui présentent leur œuvre à l’oreille sage du temps, lequel s’assoit, pèse et, dix ans après, sur un million de pages en réimprime une. Elle est encore jugée, vannée dans tous les cribles de l’opinion, et quelle terrible sélection s’opère avant qu’elle soit réimprimée vingt ans plus tard — et réimprimée après un siècle ! C’est comme si Minos et