facile de calculer le nombre de pages qu’un homme diligent peut lire en un jour, et le nombre d’années que la vie humaine, en des circonstances favorables, permet de donner à la lecture ; et cela pour arriver à prouver que, alors même que pendant soixante ans on lirait de la pointe du jour à la tombée de la nuit, on mourrait aux premiers casiers. Mais rien n’est plus décevant qu’un pareil calcul, là où la méthode naturelle est la seule qui vaille réellement. Je visite parfois la Bibliothèque de Cambridge, et il est rare que je puisse y aller sans renouveler ma conviction que le meilleur en est déjà à la maison, entre les quatre murs de mon cabinet de travail. L’inspection du catalogue me ramène continuellement au petit nombre d’écrivains qui sont dans chaque bibliothèque privée ; et il ne permet d’y faire que des additions accidentelles et des plus légères. Les multitudes et les siècles de livres ne sont que des commentaires et des éclaircissements, des échos et des affaiblissements de ce petit nombre de grandes voix du temps.
La meilleure méthode de lecture doit être une méthode naturelle, et non un système mécanique d’heures et de pages. Elle attache l’étudiant à la poursuite de sa fin native, au lieu de le disperser en une multitude de lectures à bâtons rompus. Qu’il lise ce qui lui est propre, et n’épuise pas sa mémoire en une foule de médiocrités. Des nations entières ont tiré leur culture d’un seul livre — ainsi la Bible a été la littérature aussi bien que la religion d’une grande partie de l’Europe — Hafiz a été le génie dominant des Perses, Confucius des Chinois, Cervantes des Espagnols ; de même, l’intelligence humaine gagnerait peut-être à ce que tous les écri-