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demi-dieux qui se tiennent autour de nous, et ne permettent pas que nous nous endormions. De plus, ils font appel à l’imagination : la poésie seule inspire la poésie. Ils deviennent la culture essentielle de l’époque. L’éducation du Collège consiste dans la lecture de certains livres où le bon sens de tous les scholars s’accorde à voir la science antérieurement accumulée. Si vous les connaissez — si, par exemple, en géométrie vous avez lu Euclide et Laplace — votre opinion a quelque valeur ; si vous les ignorez, vous n’avez pas qualité pour donner votre opinion sur le sujet. Chaque fois que quelque sceptique ou quelque bigot prétend qu’on l’écoute sur les questions d’intelligence et de morale, nous demandons s’il s’est familiarisé avec les livres de Platon où toutes ses objections impertinentes ont été écartées une fois pour toutes. S’il ne l’a pas fait, il n’a aucun droit à notre temps. Qu’il aille à ces livres et s’y trouve lui-même réfuté.

Cependant les Collèges, alors qu’ils nous fournissent des bibliothèques, ne nous offrent pas de professeurs de lectures, et je crois qu’il n’est pas de chaire dont on ait plus besoin. Dans une bibliothèque, nous sommes entourés d’une centaine d’amis chers, mais ils sont enfermés par un enchanteur en ces geôles de papier et de cuir ; et, quoiqu’ils nous connaissent, qu’ils nous aient attendus deux, dix ou vingt siècles — du moins quelques-uns d’entre eux — et aient hâte de nous faire signe et de s’ouvrir à nous, c’est une loi de leur prison qu’ils ne puissent parler tant qu’on ne leur parle pas ; et l’enchanteur les ayant habillés de manteaux et de jaquettes d’une seule couleur, par mille et par dix mille, ainsi que des