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La même règle s’applique à la science. Le savant est souvent un amateur. Son œuvre est un Mémoire à l’Académie sur les vers de poissons, les têtards, ou les pattes d’araignées ; il observe comme les autres académiciens observent ; il se dresse sur des échasses quand il s’agit d’examiner au microscope et — son mémoire fini, lu et imprimé — il rentre dans sa vie routinière, laquelle se sépare totalement de sa vie scientifique. Mais chez Newton, la science était aussi naturelle que la respiration ; il se servait du même esprit pour peser la lune que pour boucler ses souliers, et toute sa vie était simple, sage, et majestueuse. Il en était ainsi chez Archimède — toujours semblable à lui-même, comme le ciel. Chez Linné, chez Franklin, on retrouve pareille douceur, pareille égalité — point d’échasses, point de haussements sur la pointe des pieds — et les résultats sont mémorables et bienfaisants pour tous.

En dépouillant le temps de ses illusions, en cherchant à découvrir ce qu’est l’essence du jour, nous arrivons à la qualité du moment même, et laissons tomber entièrement l’idée de durée. C’est la profondeur de notre vie, et nullement l’étendue de sa surface qui importe. Nous pénétrons dans l’éternité, dont le temps est la surface fuyante ; et, en vérité, la moindre accélération de la pensée, le moindre accroissement du pouvoir de la pensée, fait que la vie paraît et est d’une durée immense. Nous l’appelons le temps ; mais quand cet accroissement et cette profondeur se produisent, elle prend un nom autre et plus élevé.

Il est des gens qui n’ont pas besoin de faire beaucoup d’expériences ; qui disent après des années