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Il est des jours où les grands sont près de nous, où leur front n’a pas de pli, où ils n’ont pas même l’air de condescendre ; ils nous prennent par la main, et nous partageons leur pensée. Il est des jours qui sont le carnaval de l’année. Les anges prennent corps, et maintes fois deviennent visibles. L’imagination des dieux est excitée, et se précipite de tous côtés dans les formes. Hier, pas un oiseau ne chantait ; le monde était morne, étriqué, et languissant ; aujourd’hui, il est peuplé d’une manière inconcevable : la création essaime et s’améliore.

Les jours sont faits sur un métier dont la chaîne et la trame sont le passé et l’avenir. Ils sont majestueusement vêtus, comme si chaque dieu avait apporté un fil au tissu éthéré. Il est triste de voir les choses qui nous font riches ou pauvres — c’est une affaire d’argent, de paletots et de tapis, un peu plus ou un peu moins de pierre, de bois ou de peinture, la façon d’un manteau ou d’un chapeau ; c’est comme la bonne fortune d’Indiens nus, dont l’un s’enorgueillit de la possession d’un collier de verre ou d’une plume rouge, alors que les autres se trouvent malheureux de n’en pas avoir. Mais les trésors que la Nature s’est épuisée à amasser — la structure séculaire, affinée, et complexe de l’homme — que toutes les stratifications ont tendu à former, pour le développement de laquelle les races antérieures, depuis les infusoires et les sauriens ont existé ; les créatures plastiques qui l’environnent ; la terre avec ses productions ; l’air intellectuel qui forme le tempérament ; la mer avec ses sollicitations ; le ciel avec l’immensité de ses mondes ; le cerveau et le système nerveux qui répondent à toutes ces choses ; l’œil qui sonde les