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vous fouettiez des toupies et lanciez des billes, et ne vous rappelez-vous pas que la vie se mesurait alors par moments, par des concentrations nerveuses ou des heures brillantes comme maintenant, et ne s’étendait pas au large en une félicité uniforme ? Durant les trimestres du Collège et les années qui suivent, quand revient l’anniversaire du Jour d’ouverture, le jeune gradué, alors même qu’il serait en un marais, voit une lumière de fête et sent dans l’air un faible écho du tonnerre des applaudissements académiques. Dans la retraite et la campagne, quelle dignité distingue les jours de fête ! Quand l’heure sanctifiée de l’antique Sabbat, l’heure du Septième jour, dans la blancheur que lui donne la religion d’on ne sait combien de milliers d’années, commence à poindre de l’obscurité — page pure où le sage peut inscrire la vérité, tandis que le sauvage la barbouille de superstitions — la musique de Cathédrale de l’histoire chante en elle un cantique à notre solitude.

Ainsi, d’après l’expérience ordinaire du scholar, le temps s’adapte à ses impressions. Les vents variables jouent un millier d’airs, apportent un millier de spectacles, et chacun est le cadre ou l’enveloppe d’un nouvel esprit. J’avais jadis l’habitude de choisir mon temps avec quelque raffinement pour chacun de mes livres favoris. Tel conteur est bon pour l’hiver, et tel autre pour la canicule. Le scholar doit chercher longtemps l’heure qui convient à la lecture du Timée de Platon. À la fin, le matin choisi arrive, le commencement de l’aurore — un petit nombre de lumières visibles dans le ciel, comme un monde nouvellement créé et encore à l’état de devenir — et dans ses larges loisirs, nous osons ouvrir ce livre.