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ments, ce sont eux qui se servent de vous. En un certain sens, tous les outils sont tranchants et dangereux. Un homme bâtit une belle maison ; maintenant il a un maître, et une tâche pour la vie : il lui faut la meubler, la garder, la montrer, la tenir en bon état tout le reste de ses jours. Un autre a une certaine réputation, et il n’est plus libre, il lui faut la respecter. Un autre fait un tableau ou un livre, et souvent le pis qui puisse lui arriver, c’est de réussir. J’ai vu l’autre jour un brave homme, libre jusqu’ici comme un faucon ou un renard du désert, ajuster des casiers pour ranger des coquilles, des œufs, des minéraux, des oiseaux empaillés. Il était facile de voir qu’il s’amusait à se faire bénévolement des liens pour s’enchaîner lui-même.

L’économiste politique pense donc qu’ « il est douteux que toutes les inventions mécaniques qui ont jamais existé aient allégé le labeur d’un seul être humain ». Le machinisme ruine l’homme. Maintenant que la machine est si parfaite, le machiniste n’est plus rien. Chaque progrès nouveau dans le perfectionnement d’un mécanisme restreint un peu l’activité du mécanicien — lui désapprend quelque chose. Jadis il fallait un Archimède, aujourd’hui il ne faut qu’un pompier ou un enfant pour entretenir la chaudière, tourner les aiguilles, ou surveiller le réservoir. Mais quand la machine se brise, ils ne peuvent rien faire.

Quels détails répugnants dans les journaux quotidiens ! Je crois que l’on a cessé de publier le Calendrier de Newgate et le Livre du Pirate depuis que les journaux de famille, tels que la New-York Tribune, et le London Times les ont entièrement