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population croît en proportion de la moralité.

Cependant, nous ne pouvons parler des choses de la ferme et de ses facteurs, sans réfléchir à leur influence sur le fermier. Cette préparation de moyens accumulés, il la pousse à ses conséquences dernières. Cette couche de terre que les siècles ont amendée, il l’amende encore pour nourrir un peuple civilisé et instruit. Les grandes forces auxquelles il a affaire ne peuvent être sans action sur lui, ou le laisser inconscient de son rôle ; mais leur influence ressemble un peu à celle que cette même Nature a sur l’enfant — elle le subjugue et le rend silencieux. Nous envisageons le fermier avec plaisir et respect, quand nous pensons aux forces et aux services qu’il représente si modestement. Il connaît tous les secrets du travail : il change la physionomie du paysage. Mettez-le sur une nouvelle planète, et il saura par où commencer ; cependant, il n’a aucune arrogance dans l’attitude, mais une douceur parfaite. Le fermier se tient solidement sur ses pieds dans le monde. Simple en ses manières comme dans ses vêtements, il ne brillerait point dans les palais ; il y est absolument inconnu et inadmissible ; vivant ou mourant, on n’y entendra jamais parler de lui ; cependant, mis à côté des héros de salon, ceux-ci diminueraient en sa présence — lui solide et irréductible, eux réduits à l’épaisseur d’une feuille d’or. Mais il se tient ferme dans le monde — comme l’a fait Adam, comme le fait l’Indien, comme le font les héros d’Homère, Agamemnon ou Achille. Il est un être qu’un poète de n’importe quel pays — Milton, Firdousi, ou Cervantes — appréciera comme un réel spécimen de l’antique Nature, comparable au soleil et à la lune, à l’arc-en-ciel et au déluge ; car,