Page:Emerson - Société et solitude, trad. Dugard.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’est aucun remède qui puisse atteindre la racine du mal. Un tel individu semble à peine avoir le droit de se marier : comment pourrait-il protéger une femme, celui qui ne peut se protéger lui-même ?

Nous prions le Ciel de devenir des êtres de tradition. Mais s’il est quoi que ce soit de bon en vous, le Ciel avisé veille à ce que vous ne le deveniez pas. Dante était d’une société très désagréable, et on ne l’invitait jamais à dîner. Michel-Ange a connu à cet égard d’amers et tristes moments. Les ministres de la Beauté sont rarement beaux dans les salons et les carrosses. Christophe Colomb n’a point découvert d’île ni d’écueil aussi solitaires que lui-même. Cependant, chacun de ces maîtres a bien vu la raison de son isolement. Il était seul ? Certes, oui ; mais sa société n’avait d’autres limites que la quantité de cerveau que la nature avait désignée à cette époque pour diriger le monde. « Si je reste, » disait Dante quand il fut question d’aller à Rome, « qui ira ? et si je pars, qui restera ? »

Mais la nécessité de la solitude est plus profonde que nous ne l’avons dit ; elle est organique. J’ai vu plus d’un philosophe dont le monde n’est assez large que pour une personne. Il affecte d’être un compagnon agréable ; mais nous surprenons constamment son secret, à savoir qu’il entend et qu’il lui faut imposer son système à tout le reste. L’impulsion de chacun est de s’écarter de tous les autres, comme celle des arbres de tendre au libre espace. Quand chacun n’en fait qu’à sa tête, il n’est pas étonnant que les cercles sociaux soient si restreints. Comme celui du président Tyler, notre parti se détache de nous tous les jours et, finalement, il nous faut aller