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de Gygès. Le tourment d’être visible, avait émoussé en lui les affres de la mort. « Croyez-vous, » disait-il, « que j’aie une telle terreur d’être tué, moi qui n’attends que le moment de laisser glisser mon vêtement corporel, de me dérober dans les étoiles lointaines, et de mettre des diamètres de systèmes solaires et d’orbites sidérales entre tous les esprits et moi — pour épuiser des siècles dans la solitude et oublier, si possible, jusqu’au souvenir même ? » Ses gaucheries[1] sociales lui donnaient un remords allant jusqu’au désespoir, et il parcourait des kilomètres et des kilomètres pour se défaire de ses contorsions de visage, de ses tressaillements de bras et haussements d’épaules. Dieu peut pardonner les péchés, disait-il, mais pour la maladresse, il n’est point de pardon au ciel ni sur terre. Il admirait Newton, non pas tant pour ses théories sur la lune, que pour sa lettre à Collins, où il défend d’insérer son nom avec la solution du problème dans les Philosophical Transactions : « Cela me ferait peut-être connaître davantage, chose que je m’applique particulièrement à éviter. »

Ces conversations m’amenèrent un peu plus tard à connaître des cas similaires, et à découvrir qu’ils ne sont pas très rares. On trouve peu de pures substances dans la nature. Les tempéraments qui peuvent supporter dans le plein jour les rudes procédés du monde doivent être d’une pauvre constitution moyenne — comme le fer et le sel, l’air atmosphérique et l’eau. Mais il est des métaux, comme le potassium et le sodium, qui, pour se garder purs,

  1. En français, dans le texte.