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la formation, il arrive à tous quelque événement, quelque relation sociale, ou manière de vivre, qui est la crise de leur existence et le fait principal de leur histoire. Pour la femme, c’est l’amour et le mariage (ce qui est plus raisonnable) ; et cependant, il est triste de dater et mesurer tous les faits et la suite d’une vie qui évolue d’un âge aussi jeune, et généralement aussi irréfléchi, que celui des fiançailles et du mariage. Pour les hommes, c’est l’endroit où ils ont fait leurs études, le choix d’un emploi, l’installation dans une ville, un déplacement dans l’Est ou l’Ouest, ou quelque autre bagatelle grossie, qui marque le point décisif, et toutes les années et actions qui suivent n’ont d’intérêt qu’autant qu’elles s’y rapportent. Il s’ensuit que nous attrapons rapidement le tour de conversation de chacun et, connaissant ses deux ou trois expériences principales, prévoyons ce qu’il pensera de chaque sujet nouveau qui se présente. La chose est à peine moins sensible chez les hommes dits cultivés que chez les hommes sans culture. J’ai vu à des fêtes de Collège des hommes bien doués qui, dix ou vingt ans après avoir quitté les classes, semblaient revenir aussi enfants que quand ils étaient partis. Les mêmes plaisanteries les amusaient, les mêmes traits les chatouillaient, la virilité et les charges qu’ils apportaient à leur retour paraissaient de simples masques décoratifs : dessous, ce n’étaient encore que des enfants. Nous n’arrivons jamais à être citoyens du monde ; nous sommes encore des villageois qui pensons que toutes les choses de notre petite cité sont un peu au-dessus de celles que l’on voit ailleurs. En chacun le fait signalé diffère ; mais en tous il est l’aliment d’un