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comme une illusion[1]. Ce ne sont pas seulement les peuples et les races qui meurent : c’est l’humanité entière, et le globe qu’elle habite, et les autres globes de l’espace, qui (iniront au néant. « Le jour où le globe s’en ira en poussière » apparaît à l’imagination de Leconte de Lisle au milieu même de ses préoccupations de révolutionnaire, en 1849[2], et toute sa vie, les images de destruction et de mort universelle le hanteront[3]. Tant qu’il s’agissait de lui-même, il était trop fier pour exprimer directement son horreur de la mort, c’est-à-dire un sentiment qui, après tout, n’était que celui de la peur ; mais ici. l’orgueil et la pudeur ne le retenant plus, il laisse éclater son désespoir :


Un monstre insatiable a dévoré la vie.
Astres resplendissants des cieux, soyez témoins !
C’est à vous de frémir, car ici-bas, du moins,
L’affreux spectre, la goule horrible est assouvie.


Dans ce vaste anéantissement, c’est au sort de l’âme humaine qu’il pense avant tout :

  1. Dans la Fontaine aux Lianes, en 1847, le poète appelait les bois de son île natale
    Fils du soleil, debout sur le globe changeant.
    En 1852, il remplaça ce vers par celui-ci :
    Vous verrez passer l’homme et le monde changeant.
  2. Lettre à Ménard du 7 septembre 1849.
  3. La Légende des Nornes, Solvet Seclum et beaucoup d’autres.