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Chair neuve où l’âme vierge éclatait en lumière
Devant la vision de l’immortalité.


Il resterait un remède pourtant. Leconte de Lisle ne s’enferme pas dans sa personnalité propre ; quelque dur qu’il lui soit de ne plus rien espérer pour lui-même, quelque violent effort que lui coûte ce renoncement, il en sera capable ; il se synthétise, a-t-il dit, il vit avec la masse[1], et ce n’est pas un vain mot : son sort est contenu dans le sort de l’humanité, et il est prêt à accepter l’anéantissement personnel pourvu qu’il soit assuré de l’immortalité du genre humain. « Qu’importe que je meure, si ie genre humain doit vivre éternellement » ? à des hommes qui n’ont que le sentiment de leur individualité de pareilles consolalions paraissent ridicules ; mais Leconte de Lisle, lui, sent vraiment qu’il n’est qu’une parcelle dans un tout. Un temps, en effet, il crut que l’homme collectif échappait à la loi que l’homme individuel ne saurait cviier. « Les Dieux passent vite, et l’homme est immortel » : c’est par ce cri de triomphe que se terminaient les Ascètes. N’eût-il pas eu la « vision de l’immortalité », l’Adam primitif pouvait vivre heureux et calme, s’il « croyait la terre impérissable »[2]. Mais cela aussi se révèle

  1. Lettre de 1844 à Adamolle.
  2. Dies Iræ.