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                                   j’en ai mangé beaucoup,
Et leur âme avec eux, Maître, du même coup[1].


C’est bien aussi sa propre doctrine que le poète exprime quand, dans son discours de réception à l’Académie, il oppose à la foi de Victor Huço « le renoncement réfléchi et définitif au sentiment de notre identité survivant à l’existence terrestre ». Il n’y a pas chez lui, sur cetle question, l’ombre d’un doute ; c’est le point fixe de sa pensée, la conviction que jamais rien n’est venu ébranler. Mais quelles suites elle entraîne ! Leconte de Lisle pourrait dire comme Khiron :


Mon immortalité s’est heurtée à la tombe ;



lui aussi, il a douté de ses Dieux et a été puni par la perte de toute espérance. Tout s’écroule autour de lui. Il compare à la splendeur de jadis la misère de l’homme mortel, et la comparaison le remplit d’un sentiment de détresse. Qu’on lise le début de son poème sur la mort d’Adam, auquel il a donné le titre symbolique de la Fin de l’Homme[2] :


Or ce n’était plus l’Homme en sa gloire première,
Tel qu’Iahvéh le fit pour la félicité,
Calme et puissant, vêtu d’une mâle beauté,


  1. Poèmes barbares, p. 266.
  2. Ibid., p. 357.