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célestes s’éteignent, les choses de la vie apparaissent dans une lumière farouche, crue, barbare. Pour retrouver quelque chose des « transports sacrés », il faut sortir de la réalité : il tant se réfugier dans le monde de l’art. Toute la mysticité de Leconte de Lisle passe dans son amour de l’art ; il en fera vraiment son Dieu, il ne se lassera pas de parler de son culte, de ses prêtres, de ses sanctuaires, de l’amour religieux qu’il faut lui porter Mais la vie, elle, est à jamais dépouillée de son charme suprême.

Et cependant, l’art, et l’amour terrestre aussi, et les passions vigoureuses restent ; tout bonheur n’est pas impossible. Mais il y a une condition à cela, une condition absolue : l’immortalité. L’immortelle envie[1], le songe immortel[2], n’ont pas abandonné Leconte de Lisle depuis le temps où il glorifiait le Christ de les avoir apportés sur la terre. L’immortalité seule met le sceau à la vie heureuse. C’était l’avis de Fourier lui-même que le développement des passions, quelque parfait qu’il soit, ne peut constituer le bonheur que si l’immortalité est garantie ; sans elle, c’est le spectre de la mort sur toutes les jouissances[3], et en effet, du moment qu’on a pour

  1. L’Anathème. [Poèmes barbares, p. 354]
  2. Qaïn. Ibid., p. 13.
  3. Théorie de l’unité universelle, t. II, p. 340 : « Kien de fait pour le bonheur, tant que n’avons pas, sur l’immortalité de l’âme, des garanties convaincantes et mathématiquement établies » ; et p. 309 : si la mort devait tout