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Du sommet des grands caps, loin des rumeurs humaines,
Ô vents ! emportez-nous vers les Dieux inconnus[1] !


Mais ces vers si beaux n’expriment plus un espoir réel. L’éternel désir (cette expression de la Recherche se retrouve dans Dies iræ) est définitivement jugé vain et stérile ; « rien ne répond dans l’immense étendue», et le poète, sans détours, se déclare


Désabusé du Dieu qui ne doit point venir.


Désormais sa philosophie aura pour fondement la négation absolue, implacable, de tout spiritualisme. C’est son postulat, exprimé rarement, mais impliqué partout. Leconte de Lisle est athée. Étant homme d’imagination, et non philosophe, il se laissera aller à rêver quelquefois un Dieu et plus souvent des Dieux ; mais sa conviction est acquise. Quand, peu après les Poèmes antiques, le nom de Dieu revient sous sa plume, il ajoute entre parenthèses : « Si Dieu il y a, question incidente »[2], et l’on sent bien qu’il n’en fait plus une question et qu’il sait parfaitement a quoi s’en tenir : il y a même,

  1. Dies iræ. [Poèmes antiques, p. 313.] C’est aussi la reprise, avec une supériorité infinie, de deux vers de Khiron [ibid., p. 210] ;
    Que ne puis-je, ô Borée, à tes souffles terribles
    Confier mon essor vers ces Dieux invisibles !
  2. Lettre du 15 août 1853, [Leblond, p. 390.]