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Leconte de Lisle se sépare du philosophe : sous tout son intellectualisme le sentiment religieux, el le besoin d’amour qui est au fond du sentiment religieux, reparaissent dans leur force. Que disait Spinoza ? Pars mentis œterna est intellectus[1]. Leconte de Lisle, lui, nous parle du cœur immortel de l’homme, et fait de la survie le prix de la souffrance et de l’amour, mais de l’amour saint ; c’est « l’homme qui a souffert et qui a aimé, s’il a souffert, s’il a aimé saintement », qui ne s éteindra jamais. Le sentiment primitif et irréductible fait voler en éclats le système.

G est aussi que le système n’avait rien de stable et de définitif. Nulle part on ne trouve dans les idées de Leconte de Lisle autant de confusion ; on sent une intelligence qui a peine à ordonner, à mettre au net, la masse de notions nouvelles qui l’assaillent. On peut bien dégager un noyau philosophique, mais que de phrases vagues sur le beau infini[2], le juste, le bien, et le vrai absolu[3]. et autres du même genre. Le ton trop catégorique des affirmations (c’est un trait de son tempérament qui s’est rarement démenti) ne doit pas faire illusion : il a l’esprit inquiet ; tout en s’arrêtant, pour le moment, à la solution panthéistique, il ne se sent pas raffermi comme il

  1. Éthique, V, 40, corollaire.
  2. Leblond, p. 152.
  3. Ibid., p. 158.