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sur « des principes lucides et inamovibles[1]. La mysticité nouvelle s’incarne dans cette expression, qui apparaît alors pour se répéter bien des fois, de « en Dieu ». « Les joies réelles sont en Dieu »[2]. Si le rapprochement avec Spinoza est juste, cette phrase obscure s’éclaire encore par l’Éthique : la béatitude consiste à connaître et à aimer Dieu, « lætari concomittante idea Dei »[3]. Pour Leconte de Lisle, ce qui est « en Dieu » s’oppose à ce qui est vulgaire et passager, et c’est avec une véritable passion qu’il s’y précipite : si la souffrance nous aide à nous en rapprocher et à « oublier les choses périssables », bénissons la souffrance : « qui sait si Dieu n’y gagne pas ?[4]».

  1. Leblond, p. 157. « Les joies réelles sont sûrement celles qui, une fois déduites, en nous, de principes lucides et inamovibles, ne nous abandonnent jamais entièrement, etc. » Pour épuiser les rapprochements possibles avec Spinoza, remarquons que ces principes lucides et inamovibles font songer aux idées adéquates : pour Spinoza, on n’éprouve de joie qu’en tant que l’on agit, mais on n’agit qu’en tant que l’on a des idées adéquates : « Mens nostra, quatenus adæquatas habet ideas, eatenus necessario agit, et quatenus ideas habet inadaequatas, eatenus quædam patitur. » [Éthique, III, 1.]
  2. Leblond, p. 158. — Cf. cette phrase détachée citée page 157 : « le calme est en Dieu ».
  3. Éthique, V, 15, démonstration.
  4. Leblond, p. 152. Dieu y gagne, c’est-à-dire notre communication avec Dieu (parce que la souffrance détache des pensées vulgaires et terrestres, et fait songer à Dieu). Dieu en tant que tel ne peut rien gagner à notre souffrance : une