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Mais Leconte de Lisle ne peut plus se passer de cette atmosphère religieuse et idéale, « mystique », comme il disait, dans laquelle il a vécu à Rennes, et si le Dieu chrétien se dérobe, il adaptera son sentiment religieux à sa nouvelle conception, il n’y renoncera pas. « La sublimité de l’âme et de Dieu », c’est, à Bourbon comme à Rennes, l’objet de ses pensées et de son culte ; il tient même très fort à ce qu’on soit convaincu qu’il a toujours été religieux[1]. Maintenant comme autrefois, le bonheur suprême est dans le sentiment de la présence de Dieu. Seulement, il ne faut pas que la religiosité et la mysticité soient contraires à sa métaphysique, car Leconte de Lisle dédaigne une joie qui viendrait d’une pure illusion, et veut la joie réelle, établie, non sur un rêve, mais

    nous a été donné un corps et une âme seulement », p. 149) on sent que sa pensée est toujours dominée par la notion de la dualité ; c’est ce qu’un panthéisme comme celui de l’Inde n’aurait pas permis, mais Spinoza le permettait par sa théorie des deux attributs connaissables. Une autre idée, spinoziste aussi et d’origine cartésienne, se retrouve page 149, mal comprise il est vrai et entièrement dénaturée : c’est que l’âme est constituée par l’intelligence : Descartes et Spinoza disaient « par la Pensée » ; mais on voit bien comment un homme peu au courant de la philosophie pouvait s’y tromper.

  1. Leblond, p. 163. « Un instinct de justice sociale et religieuse, — mais non antireligieuse, car il y avait au fond de nos divagations d’enfant sur l’iniquité romaine… un acte de foi implicite en la sublimité de l’âme et de Dieu. »