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ne doit avoir de limite d’aucune espèce, et surtout dans le temps : Leconte de Lisle veut que son amour et son bonheur soient éternels. « L’amour dans son. éternité » : cet hémistiche d’un de ses poèmes de l’âge mûr[1] est la formule même de son sentiment religieux. Mais la mort est là. « Un si terrible mystère ! » voilà la première parole de Leconte de Lisle en face de la mort[2], et tout aussitôt, terrifié, il se tourne vers espérance de l’immortalité. Le Christ a apporté sur la terre plus d’un bienfait, mais celui qui couronne tous les autres, c’est l’immortelle espérance[3]. C’est elle qui fait le charme des rêveries du poète :

  1. Le Désert. [Poèmes et Poésies.] À la fin de la pièce il y avait, dans l’édition de 1855, huit vers de comparaison entre l’Arabe dans le désert et le rêveur dans la vie, et c’est là que se trouvent les mots cités ici.
  2. Premières poésies et lettres intimes, p. 99
  3. Variété, p. 50 [Issa ben Mariam].

    Qu’un jour tu doterais la frêle humanité
    Des rayons de l’amour et de la liberté
             Et de l’immortelle espérance.

    L’immortelle espérance veut dire l’espérance de l’immortalité ; ce tour est familier à Leconte de Lisle. Dans la Gloire et le Siècle (Variété, p. 173) en parlant des jeunes poètes qui se passionnent pour une gloire éternelle, il dit : « Nous tressaillons encor d’une immortelle envie », ce qui ne permet aucun doute. L’immortelle envie se retrouve dans l’Anathème, et c’est encore par le même tour qu’il faut expliquer l’impossible envie de Dies iræ et l’impossible désir de Bhagavat, c’est à dire envie, désir de choses impossibles.