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religion dégénérée du Christ ». Il y a donc un seuil où l’hostililé de Leconte de Lisle s’arrête, et ne s’arrêtât-elle qu’au seul Évangile, à la seule personne de Jésus-Christ, cela suffirait pour servir de point de départ à une appréciation nouvelle de la religion chrétienne tout entière : si je crois la source pure, je ne désespère pas pour toujours de la rivière. Il faut seulement acquérir la conviction que réellement la corruption n’est pas irrémédiable ; et, pour Leconte de Lisle, tout particulièrement, ce qui importait, c’était la question sociale : il ne pouvait se rapprocher du christianisme tant qu’il le croyait contraire à la liberté et à la justice. Il ne pouvait pas non plus sauter d’un coup de Voltaire à Bossuet, accepter tout d’un bloc le christianisme, voire le catholicisme romain, tel que l’impose l’Église : ainsi il lui lallait un christianisme non seulement libéral en politique, mais encore large et dégagé de plus d’un détail encombrant dans l’ordre du dogme. Lamartine, qu’il aimait, put lui en donner un premier et vague pressentiment, mais la vraie révélation, ce fut, selon toute apparence, à Lamennais qu’il la dut. Leconte de Lisle voulait autre chose qu’un christianisme dégénéré et corrompu, et Lamennais ne disait-il pas que le christianisme vrai est tout autre chose que « l’enveloppe mortelle dont on le recouvre comme d’un suaire », qu’on l’a « confondu avec une œuvre mortelle », mais que cette con-