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qu’il avait donnés jusque-là étaient tout profanes : les Poèmes tragiques s’ouvrent par une Apothéose de Mouça al Kébyr où l’idéal religieux tient une large place ; la grandeur du Dieu unique est célébrée en très belles strophes :


Louanges au Très-Haut, l’Unique ! car nous sommes
De vains spectres. Il est immuable et vivant.
Il voit la multitude innombrable des hommes,
Et comme la fumée il la dissipe au vent.


Il n’y a pas jusqu’aux polythéismes, et jusqu’à celui des Grecs, qui ne se ressentent de cette nouvelle façon de voir. Il est vrai qu’une autre circonstance vient s’ajouter à celle-ci : Leconte de Lisle, en 1869, l’année même de Qaïn, a achevé de traduire Homère et se met à Eschyle, qu’il donne en 1872. S’il y avait un poète grec qui devait gêner Ménard dans ses théories sur le polythéisme, sur la familiarité des Grecs avec les Dieux et sur leur sentiment de la liberté humaine, c’était certainement celui-là : il était donc difficile de vivre plusieurs années dans la société d’Eschyle et d’en rester au point de vue de Ménard. Ces deux causes réunies contribuent à faire des Érinnyes de Leconte de Lisle, — adaptation de l’Orestie moins les Euménides, — presque une contre-partie des Poèmes antiques, malgré bien des traits à la façon ancienne qui subsistent.