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un tout autre ton, dans lequel on sent l’intention ironique et méchante qui domine tout. Il est vrai qu’aux heures de malice (et Leconte de Lisle en avait souvent, aux dires de Baudelaire qui l’a connu de près), il est difficile à un Occidental de tenir son sérieux devant certaines manifestations grotesques de l’ascétisme hindou : mais ce qui fait voir l’intention particulière de l’auteur, c’est que toutes ces choses ridicules, il les rapporte non pas à la philosophie pessimiste qui les explique, mais à la piété et à la religion, comme pour dire : voyez les sottises que la religion fait commettre ! « Son corps était fort maigre et couturé des cicatrices saignantes de ses macérations, comme il convient à un homme pieux » : voilà un premier trait qui s’applique bien mieux à un ascète chrétien qu’à un Yogin. Mais que dire de ceci : « Il resta debout douze lunes entières, la plante du pied droit posée sur la cuisse gauche et les deux mains en éventail contre les oreilles, ce qui est une marque merveilleuse de piété. Mais, parce qu’il avait oublié, en songeant à sa fille Phalya-Mani, d’asperger les huit points du monde, l’œil enflammé de Sûryâ dessécha les rizières et cent mille Sûdras moururent de faim. » Ce n’est pas Sûryâ, chacun le sentira, qui est visé réellement ; on ne peut s’empêcher, au contraire, de songer à certaine histoire de peste au second livre de Samuel[1], qui fait partie

  1. XXIV, 13-15.