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bien avoir sa racine encore dans son fouriérisme. Fourier disait : Il y a certaines choses auxquelles nous sommes enclins nalurellement, et que vous, chrétiens ou philosophes déistes, vous prétendez mauvaises ; or, si ces inclinations sont en nous, c’est que Dieu a voulu nous les donner, et si, comme vous le dites, elles conduisent au mal, s’il faut y résister, c’est donc que votre Dieu est un mauvais Dieu, un vrai démon malfaisant et, de plus, illogique[1]. Ce raisonnement dut se fixer dans l’esprit de Leconte de Lisle comme quelque chose de définitif ; et c’est en poussant dans cette direction qu’il est arrivé à concevoir l’Iahvèh de Qain[2]. Contre ce Dieu mauvais

    semblable : Magnus, menacé de l’Enfer pour ses crimes, et invité à se repentir répond : non !

                                  Pourquoi Dieu m’a-t-il forgé l’âme
    De façon qu’elle rompe et ne puisse ployer ?
    Puisqu’il l’a faite ainsi, qu’il en porte le blâme !

  1. Plusieurs textes dans Bourgin, op. cit., pp. 198 à 200.
  2. L’Histoire populaire du christianisme contient aussi des traits du même genre. L’auteur rapporte une phrase de saint Augustin d’après laquelle « Dieu est encore fort bon » de prédestiner quelques-uns au salut, alors que tous méritent la damnation. « Nous laissons au lecteur le soin de décider ce qu’il doit penser de cette douce doctrine du saint docteur » (p. 41). À la page suivante est citée, sur le même sujet, la doctrine «peu rassurante » de saint Isidore de Damiette ; et enfin, à la page 137, le morceau de Nicole : « le monde entier est un lieu de supplices, etc. » est donné tout au long et qualifié de « hideux cauchemar chrétien ».