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les mains d’un maître absolu et incompréhensible, comme l’argile entre les mains du potier, selon la déclaration de Saint Paul »[1], c’est la suppression du libre-arbitre et la prédestination : et tel est le sujet de Qaïn. Il n’y a pas une idée qui l’ait indigné comme celle-là. L’Église chrétienne a commis bien des férocités, mais aucune d’elles n’égale cette férocité de la philosophie chrétienne. Que la divinité crée l’homme pour le mal et que, le crime une fois consommé, l’homme soit châtié par celui-là même sur qui retombe toute la responsabilité, voilà l’idée sur laquelle Leconte de Lisle s’acharne comme sur quelque chose de monstrueux. Il s’y était attaqué plusieurs fois avant Qaïn[2], et cette préocupation peut

  1. Catéchisme populaire républicain, p. 9.
  2. Hélène [Poèmes antiques, p. 105] :
    Ne cesserez-vous point, Destins inexorables,
    D’incliner vers le mal les mortels misérables ?

    p. 115 :
                                            et vous, funestes Dieux,
    Qui me livrez en proie à mon sort odieux,
    Qui me poussez aux bras de l’impur adultère…

    et p. 116, après avoir parlé de l’ignominie qui l’attend :
    Voilà, dirai-je aux Dieux, votre exécrable ouvrage.

    Le Corbeau [Poèmes barbares, p. 267] ; sur l’ancien monde exterminé par le déluge :

    C’était un monde impie, où, grâce au Suborneur,
    La femme séduisit les Anges du Seigneur.
    — J’y consens, dit l’Oiseau, ce n’est point mon affaire,
    Et celui qui le lit n’avait qu’à le mieux faire.

    Après Qaïn encore, à la fin de Magnus, se retrouve un accent