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un amateur, ira jusqu’au bout : c’est en vain que le père se lamentera, s’indignera de ce qu’on le rende responsable des idées de son fils[1] : Leconte de Lisle a pris feu, il se passionne, s’emballe, se met à faire du prosélytisme. Quand il va se promener avec ses amis, au bord de la mer, c’est de politique et de religion qu’il les entretient, et quand il est obligé de quitter Bourbon pour la France, il laisse quelqu’un pour le remplacer, et à qui il n’oublie pas de faire ses recommandations : « Je te charge bien de soutenir nos sentiments républicains et philosophiques, ce sont les plus vraies comme les plus nobles des opinions humaines » [2]. Et, fidèle à ses « sentiments philosophiques », c’est à Raynal qu’il va demander des lumières sur les choses de la religion : il n’y a donc pas à s’étonner si l’hostilité contre le christianisme va être ce qu’il y aura de plus clair dans ses idées. Ce ne sont que « divagations sur l’iniquité romaine » (l’ex-

  1. Tiercelin, op. cit., p. 26. — L’oncle de Dinan a demandé au père comment il a pu inculquer à Charles de pareilles idées. Et le père, avec des morbleu ! jure que ce n’est pas lui. Il ajoute : « Cette exaltation de pensée tient, comme chez les jeunes gens de son âge, à sa jeune organisation ; ses idées religieuses prennent chez lui une teinte plus forte, parce qu’il sait mieux soutenir son paradoxe ». Dans ce mot d’exaltation, on sent à peu près ce qui sépare le père et le fils : l’orientation générale des idées peut être la même, mais Leconte de Lisle s’aventure beaucoup trop loin au gré de son père.
  2. Lettre citée par Leblond, op. cit., p. 63.