Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/229

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grande inspiration impersonnelle sur les étroitesses de la théorie :


Donc, le Seigneur, m’a dit : Va ! je suis le Dieu fort !

Je me lève dans la fureur qui me consume ;
Le monde est sous mes pieds, la foudre est dans mes yeux ;
La lune et le soleil nagent dans mon écume…

Le Seigneur dit : Je suis l’effroi des triomphants,
Je suis le frein d’acier qui brise la mâchoire
Des Couronnés, mangeurs de biches et de faons.

Je fracasse leurs chars, je souffle sur leur gloire ;
Ils sont tous devant moi comme un sable mouvant,
Et j’enfouis leurs noms perdus dans la nuit noire.


Et cependant, dans la complaisance avec laquelle il insiste sur tout ce que ce maître a de féroce, de barbare, on devine que ce n’est plus le sentiment avec lequel sont écrits les poèmes grecs. Quand l’inspiration poétique n’est plus là, ce trait s’accuse encore bien plus exclusivement : à propos du Moïse de Vigny, voici comment est défini le vrai Moïse : « le chef sacerdotal et autocratique de 600.000 nomades féroces errant dans le désert de Sinaï, convaincu de la sainteté de sa mission et de la légitimité des implacables châtiments qu’il inflige. La mélancolie du prophète et son attendrissement sur lui-même ne rappellent pas l’homme qui fait égorger en un seul