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va se perdre dans l’insignifiance commune et rejoint l’esprit de n’importe quel bourgeois[1].

Il n’y aurait aucun intérêt à s’arrêter sur tout ceci, si ce n’était malheureusement par ce côté qu’eussent connu Leconte de Lisle beaucoup de ceux qui l’ont approché, créant à son endroit un véritable préjugé. Il n’y a à cela rien détonnant, d’ailleurs. Les sentiments d’un homme, et d’un poète plus que de tout autre, forment en quelque sorte des couches différentes, les unes plus visibles, les autres plus cachées ; or, le sentiment religieux d’un homme qui n’est pas croyant est à coup sûr plus près du fond que l’antichi istianisme tel que nous venons de le voir, et cela par sa nature même. Il a un caractère intime, il touche les fibres les plus délicates du cœur ; c’est un mélange d’affection, de regret et de mélancolie que la simple pudeur ne permet pas facilement de met-

  1. La collection des exemples qu’on pourrait citer à l’appui est inépuisable, mais le lecteur ne perdra rien à les ignorer. Pour donner une idée de l’esprit général, voici le jugement sommaire du caractère de saint Louis : « Ses grandes vertus lui étaient propres, ses vices étaient, chrétiens » (p. 110). Le parti pris éclate encore dans des traits comme celui-ci, p. 37 : « L’Église laissait au pouvoir civil le soin de fixer les conditions et la forme du mariage. » On croirait que l’auteur, qu’indignent les usurpations de pouvoir de l’Église, sera content ; point du tout : c’est « par suite du mépris profond qu’elle a toujours eu pour la femme ».