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être serait-il plus juste de le comparer au bœuf qui creuse sur la terre le sillon de Dieu. Et le sillon est parfois sanglant, car le dogme divin doit être maintenu en dépit de l’homme, par le fer et par le feu. s’il le faut, par la persécution et l’Inquisition, par les bûchers et les massacres. Le type de la guerre chrétienne, c’est la croisade contre les Albigeois. L’intolérance et l’extermination sont sacrées, et, en résumé, voici le spectacle qu’offrent les siècles du christianisme : « Des millions d’hommes torturés, massacrés et brûlés vifs pour la plus grande gloire d’une puissance incompréhensible[1]. »

D’autre part, cette idée d’un despotisme divin a sa répercussion sur les notions de bien et de mal. On a vu qu’au temps des religions païennes la moralité naissait pour ainsi dire spontanément du jeu même des puissances vitales idéalisées par la présence divine ; maintenant le bien, c’est la conformation à la Loi[2]. L’idéal n’étant plus de notre monde, tout effort moral consistera à tendre au-delà ; notre monde, la nature, deviennent suspects, — avec raison d’ailleurs, du moment que tout élément divin s’en est retiré ; — bien plus, le mal dans la nature devient un dogme :

  1. Catéchisme populaire républicain, p. 19.
  2. Ibid., p. 9 : « Obéissance aux ordres divins, qu’ils soient conformes ou non à la nature humaine. »