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pendant, l’heure n’était pas encore venue de s’arrêter dans le pessimisme. Le christianisme part de cette donnée. L’idéal que les hommes avaient possédé, il leur en rend ce qui est possible de leur rendre : mais ce n’est plus qu’une lumière lointaine, une espérance[1], un rêve. Tel est le caractère essentiel de la nouvelle religion. Entre l’homme et le néant, il y avait jadis la vision vivante des Dieux : maintenant il y a un songe, un songe intérieur de l’âme. Dieu est loin ; l’idéal trône quelque part au-dessus de l’homme et de la vie, dans un « ciel inaccessible », dont personne ne peut dire s’il s’abaissera jamais pour lui[2]. Le monde chrétien « soumis à une loi religieuse qui le réduisait à la rêverie, n’a fait que pressentir vaguement l’idéal » que l’Antiquité avait possédé. Les aspirations de l’homme ne seront plus réalisées qu’incomplètement, et le désir éternel qui tourmente le pessimiste ne sera pas inconnu au chrétien. S’ils diffèrent, c’est parce que

  1. Le Runoïa :
    Et les heureux du monde, altérés de souffrance,
    Boiront avec mon sang l’éternelle espérance.
  2. L’Agonie d’un Saint [Poèmes barbares, p. 319] :
    Du ciel inaccessible abaisse la hauteur.

    C’est aussi le point de vue de Ménard ; le Dieu des chrétiens est « relégué dans des hauteurs inaccessibles » comme celui des philosophes. [Polythéisme hellénique, p. 391.] Seulement, Ménard naa tirait pas les mômes conclusions que Leconte de Lisle, car pour lui c’est Jésus-Christ qui est le Dieu humain, accessible.