Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tien voient la vie sous un même angle. « Vous vous êtes trompés », disait Leconte de Lisle jadis, au temps de sa confiance optimiste, aux ascètes chrétiens ; à ces mêmes ascètes le pessimiste dira : « Vous disiez vrai : »


Vous disiez vrai ; le cœur de l’homme est mort et vide,
Et la terre maudite est comme un champ aride
Où la ronce inféconde, et qu’on arrache en vain,
Dans le sillon qui brûle étouffe le bon grain.
Vous disiez vrai : la vie est un mal éphémère…[1]


Ce n’est pas ainsi qu’il voyait le christianisme au temps de sa jeunesse ; tout ce que maintenant il n’accorde qu’aux religions païennes, la présence de la divinité, la vie dans le divin, il l’avait cru trouver dans l’idéal chrétien. Mais l’idéal chrétien déçoit : c’est la moralité qu’on peut tirer d’une des poésies de Leconte de Lisle, la Fille de l’Émyr[2], et c’est celle que lui-même il a tirée de son expérience personnelle. Sa nouvelle conception est celle-ci : quand le christianisme est né, l’idéal s’était déjà retiré de la vie. Les hommes ne pouvaient plus vivre, ni penser, ni jouir, ni se passionner, et ce-

  1. Les Ascètes [Poèmes barbares, p. 303].
  2. Poèmes barbares, p. 152.