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blables, dans deux poèmes traitant de religions entièrement différentes, dont l’un a visiblement l’allure d’un poème philosophique, et l’on se demande par quelle philosophie fantastique lui, buddhiste, nihiliste et athée, il a pu en arriver là. En réalité, c’est là un élément venu du dehors : c’est la pensée polythéiste de Ménard qui a déteint sur Leconte de Lisle. Il suffit d’ouvrir presque au hasard un volume de Ménard pour y trouver l’explication cherchée : les Dieux sont les « causes inconnues » des choses, leurs « principes » irréductibles à l’unité et se manifestant comme forces dans la nature et comme vertus dans les sociétés[1] : ces principes, personne ne peut les nier, et, d’autre part, il n’y a pas pour eux d’expression absolue : « nous appelons attraction ce que les anciens appelaient Vénus, c’est une question de mots, et l’un n’est pas plus clair que l’autre »[2]. Il ne faut pas oublier que ce qui pour Ménard était une véritable conviction philosophique n’est jamais sorti

  1. Préface des Poèmes, p. XV : « Là ou nous voyons des principes, les anciens voyaient des dieux. » — Polythéisme hellénique, p. 376 : « Le ciel, la terre, les astres, les éléments n’ont été, dès l’origine, pour l’esprit humain, que les effets sensibles et palpables de causes inconnues. Ces causes, que la religion appelle les Dieux, sont à la fois les lois physiques du monde et les lois morales des sociétés ». Ibid., p. XXVIII : « Ces causes inconnues qu’elle (la religion) appelle les Dieux ».
  2. Préface des Poèmes, p. XV.