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peut dire vraiment à la lettre que toute religion est vraie et qu’en même temps elle n’est pas vraie : c’est pourquoi, même quand il laisse, dans un poème mythologique (comme l’Épée d Angantyr ou le Massacre de Mona) voir son point du vue à lui, le lecteur est moins tenté de se dire : « cette mythologie n’est qu’un rêve » que : « c’est une réalité posée à côté d’une autre réalité », impression que le poète a soin de fortifier, comme nous l’avons vu pour le Massacre.

Mais cette triste existence, attribuée aux Dieux par une voie pour ainsi dire négative, et qui les met au niveau des créatures les plus misérables, ne le satisfait pas : et les Poèmes plus d’une fois vont au-delà, affirmant la vérité éternelle des Dieux planant au-dessus des choses éphémères. Dans le Runoïa, le Dieu païen est menacé de mort[1] ; mais à la fln du poème il ne meurt pas véritablement ; « dépossédé d’un monde », exilé, il s’en va « dans l’espace sublime », et la mort pour lui consiste simplement à n’être plus adoré. Bien plus fortes sont les expressions du Massacre de Mona ; la religion celtique s’éteint, mais les Dieux meurent-ils ? non pas ; ils quittent la terre profanée et s’en vont dans un monde lointain :

  1. Poèmes barbares, p. 89 : « Maintenant, es-tu prêt à mourir, Roi du pôle ? » et plusieurs expressions semblables.