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devant Leconte de Lisle : l’une, que lui avait frayée sa propre philosophie de l’Illusion, l’autre dans laquelle il n’avait qu’à suivre Ménard qui s’y était engagé très tôt et y marchait avec assurance.

Pour qu’un homme qui n’est en aucune façon un croyant puisse parler de vérité des religions, c’est-à-dire admettre que leurs affirmations correspondent à quelque chose de réel, il faut de toute nécessité que pour lui cette notion même de réalité, d’être, ait perdu de son sens vulgaire, « substantiel et grossier » : l’expression est de Renan[1] qui, dans l’Avenir de la Science, refuse nettement de répondre à une question d’être ou non-être, car, dit-il, « les questions d’être nous dépassent »[2] : et c’est de là qu’il part pour affirmer la vérité des religions[3]. Mais c’est qu’en effet Leconte de Lisle avait les meilleures raisons pour repousser ce sens substantiel : rappelons-nous qu’il est nihiliste. Sans doute, que des Dieux aient jamais existé, au sens où le

  1. Avenir de la Science, p. 477.
  2. Ibid. Table analytique à la fin du volume.
  3. S’il y a eu une influence de Renan sur Leconte de Lisle, c’est dans ce sens-ci, par les Études d’histoire religieuse, parues en articles de revues de 1850 à 1858 : c’est en 1858 et 1860 que paraissent Hypatie et Cyrille et le Massacre de Mona, les deux poèmes où la vérité des religions est affirmée avec le plus de force. La Vigne de Naboth, écrite en automne 1860 et parue dans les Poèmes barbares en 1862, y est dédiée « à M. Ernest Renan », trace précieuse de relations personnelles.