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dans le Discours sur Victor Hugo, Leconte de Lisle prend cette phrase à son compte et dit des religions, exactement dans les mêmes termes : « toutes ont été vraies à leur heure ». C’est la seule fois qu’il ait osé toucher à cette question de sang-froid et en prose, et même, comme pour atténuer son mot hardi, il en donne l’explication la plus modeste, la plus positive, la plus timide qui soit possible : elles étaient vraies, parce qu’elles étaient « les formes idéales des rêves et des espérances » de l’humanité. De cette façon, la religion, en ce qu’elle a d’humain, est vraie d’une vérité momentanée ; mais les Dieux sont sacrifiés, et sous l’enveloppe des symboles il n’y a toujours et toujours que des rêves et des espérances. Certes, comme le dit Bourget, ces rêves et ces espérances correspondent à des besoins qui peuvent n’être pas simplement passagers, qui, desséchés et affaiblis mais toujours vivants, peuvent subsister dans l’âme des hommes pour refleurir un jour, et ainsi n’être pas des vérités d’une heure, mais des « vérités éternellement humaines » : mais la forme, la forme proprement religieuse, reste illusoire à tout jamais. Cette théorie est donc bien peu de chose, assez peut-être pour un historien ; mais un poète devait aller plus loin. Deux voies s’ouvraient

    cevoir que toute religion fut vraie à son heure… M. Leconte de Lisle, lui, s’empare de cette idée… »