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Oh ! que ne suis-je né dans le saint Archipel
Aux siècles glorieux où la Terre inspirée
Voyait le Ciel descendre à son premier appel[1].


Si bien que quand il se permet un jour de faire allusion, — combien discrètement ! — à son passé personnel et à ses croyances religieuses abandonnées, c’est sous cette forme païenne qu’il les représente[2] ; il ne dit pas, « mon Dieu trahi » mais « mes dieux trahis », comme si, dans sa jeunesse, il avait été non chrétien mais poète des Olympiens[3].

Après cela, on ne doit plus trouver de mystère dans les déclarations répétées de Leconte de Lisle sur la « possession de l’idéal » par les hommes de l’antiquité. C’est dans l’antiquité que, dans Hélène déjà, — celle de 1845, — il place « l’idéal qui sauve » et dont l’homme moderne est altéré. Ceux qui vinrent au christianisme dans les premiers siècles ont cru

  1. Vénus de Milo. C’est le texte définitif, qui date de 1858.
    Le caractère religieux y a été consciemment mis en évidence ;
    dans le texte ancien, au lieu de saint Archipel on lisait doux
    archipel, et le premier vers était simplement :
    Bienheureux les enfants de l’Hellade sacrée !
  2. L’Aurore :

    Un arôme léger d’herbe et de fleurs montait ;
    Un murmure infini dans l’air subtil flottait :
    Chœur des Esprits cachés, âmes de toutes choses,
    Qui font chanter la source et s’entr’ouvrir les roses ;
    Dieux jeunes, bienveillants, rois d’un monde enchanté
    Où s’unissent d’amour la force et la beauté.

  3. (Voici que) j’ai désappris les hymnes d’autrefois,
    Et que mes dieux trahis n’entendent plus ma voix.