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quelque chose de parfaitement distinct et qui a son caractère propre[1].

Ce que Leconte de Lisle demandait à la religion, c’était, après l’immortalité, cette vie « en Dieu » comme il disait dans ses lettres de 1844, c’est-à-dire plus exactement « dans le divin », ce rayonnement du divin à travers les choses, d’où naissent la beauté, l’harmonie, l’amour. Or, son opinion nouvelle est en deux mots celle-ci : la vie dans le divin, c’est le paganisme seul qui la donne. Les Dieux étant dans la nature ambiante, l’idéal et le divin seront au sein même de la vie ; le paganisme consistera dans la communication perpétuelle, libre, immédiate, intime, presque matérielle, avec la divinité. Ménard avait les mots les plus expressifs pour la caractériser : « L’homme, disait-il, sent les Dieux à ses côtés, dans l’air qu’il respire[2] », et ailleurs : « chaque sensation l’imprègne d’une vie divine[3] » ; Leconte de Lisle n’en a pas donné de formule de ce genre, mais

  1. Il faut insister là-dessus, car c’est une des raisons pour lesquelles on fait Leconte de Lisle plus panthéiste qu’il n’était. Parce qu’il a écrit, vers la fin de sa vie, quelques imitations d’hymnes orphiques, et notamment un hymne à Pan, il n’y a pas lieu de parler du sentiment qu’il avait du « panthéisme hellénique ». Dès qu’une note panthéiste se fait entendre, c’est du panthéisme plus ou moins hindou, et le Pan même de son hymne orphique ressemble fort à Hâri : « Les siècles de ton rêve aussi prompts que tes heures. »
  2. La Morale avant les philosophes, p. 61.
  3. Polythéisme hellénique, p. 7.