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                                                  toi qui sur nous étends,
Comme pour nous bénir, tes deux bras éclatants !


mais l’abstraction philosophique se laisse trop voir dans la conception de cette déesse ordonnatrice qui « sait toutes choses »[1], qu’on invoque sous le nom de Sagesse[2], et chez qui la forme humaine vient d’une pure allégorie, comme quand on représente sous les traits d’une femme la Justice ou la Gloire. Maintenant, avec l’imagination polythéiste, toute la vie de la nature se répand dans les objets particuliers et concrets et s’incarne dans les milliers de Dieux dispersés par tout le monde. C’est au polythéisme, auquel Ménard en fait un mérite presque unique[3], qu’il faut rapporter « ce sentiment profond de la vie universelle » qui pénètre les poèmes grecs de Leconte de Lisle, et beaucoup d’autres. La Vie universelle, pour la plupart des contemporains, était une notion essentiellement panthéiste ; aux yeux de Taine, par exemple, les Dieux même du polythéisme ne sont que le morcellement et le symbole visible du Dieu-Nature panthéistique, et c’est par là que le paganisme le touche. Ce n’est pas le cas de Leconte de Lisle ; le polythéisme chez lui est

  1. Niobé, loc. cit.
  2. Kybèle.
  3. Préface des Poèmes, p. XV ; Morale avant les philosophes, p. 17 : Polythéisme hellénique, p. 6. [Tous ces ouvrages chez Charpentier, in 12o].