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L’Esprit rauque du vent, au faîte noir des rocs,
Tournoyait et soufflait dans ses cornes d’aurochs…
L’Esprit du vent soufflait dans ses clairons de fer…
L’Esprit de la tempête, avec ses mille bouches,
Les appelant, soufflait dans ses trompes farouches.


C’est donc un être mythologique, dont on entrevoit même quelque chose, puisqu’il a des clairons et des cornes d’aurochs qu’il embouche, mais ces traits restent noyés dans la description de la nature ; et peut-on se faire une image plastique nette de ce Dieu qui « tournoie » comme le vent le moins divinisé, qui n’a pas un clairon, mais des clairons et des cors, en nombre, et mille bouches pour souffler ? Avec de telles expressions, le poète fait en quelque sorte coup double : bouche est anthropomorphe : mais s’il y en a mille ? nous voilà replongés dans le vague. Le lecteur hésite ; il voit, émergeant des brumes, de ces brumes comme il y en a sur les mers septentrionales, de vagues formes de trompettes, de clairons, quelque chose comme l’ébauche d’une forme humaine, ec il se demande : « Est-ce vraiment un être divin ? est-ce le brouillard nocturne et le souffle de l’air ? » Pour la réflexion, c’est le brouillard ; pour l’imagination, c’est le Dieu : et cette dualité va continuer. L’Esprit du vent convie les autres Dieux ; ils arrivent. Leconte de Lisle dira toujours : « les Dieux », il se placera au point de vue des Celtes qui sont là, mais chaque fois, par un mot glissé dans