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parole. Ces expressions : « jeune soleil, plus haut destin », c’est alors au fouriérisme qu’il faut les appliquer ; mais « l’astre des aïeux, le songe heureux où fleurit sa jeunesse» (celle du poète lui-même), c’est donc la religion chrétienne : et ainsi, qu’on prenne le poème tel qu’il est, ou qu’on cherche à se rendre compte de l’inspiration dont il est primitivement sorti, le christianisme est respecté, et si la balance penche imperceptiblement du côté du paganisme[1], c’est qu’il y a beaucoup de sympathie d’un côté, mais plus de sympathie de l’autre, non parce qu’il y a amour d’un côté, et de l’autre haine[2]. Cette sympathie pour le christianisme se maintient après la grande crise ; son pessimisme le prédispose

  1. Et les Galiléens qui te rêvaient des ailes
    Oubliaient leur Dieu mort pour tes Dieux bien-aimés.

  2. Brunetière, dans le Manuel, nous renvoie à Hypatie pour nous rendre compte comment, chez Leconte de Lisle, « l’inspiration antique se combine avec l’inspiration antichrétienne ». Il n’y a dans Hypatie qu’un seul vers qui ait pu l’induire en cette erreur, c’est celui-ci, très violent en effet :
    Le vil Galiléen t’a frappée et maudite.

    Mais ce mot n’y a été introduit que dans l’édition de 1874» vingt-sept ans après que le poème fut écrit ! En 1847, 1852, 1858 on lisait toujours :

    L’homme en son vol fougueux t’a frappée et maudite.

    L’antichristianisme est donc introduit artificiellement après coup, sous l’influence d’un état d’esprit aussi étranger que possible à la conception d’Hypatie. Le vil Galiléen, c’est une tout autre philosophie qui pénètre subrepticement dans le poème, si