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On dit par exemple que Leconte de Lisle, comme Renan, cherche dans une religion le « type abrégé » d’une race, qu’il considère que l’empreinte particulière que la nature du pays et tous les autres agents possibles donnent à la race se retrouve, le plus complètement et le plus parfaitement, dans les symboles religieux. Et voilà tout le secret de sa poésie religieuse. Mais je demanderais : ce type abrégé, est-il bien vrai qu’on ne puisse le voir exprimé nulle part avec la même force que dans la religion ? Renan l’affirmait ; mais Leconte de Lisle n’est-il donc qu’une ombre, un double poétique de Renan ? Il semble, au contraire, qu’il soit possible de caractériser admirablement une race sans recourir à ses croyances surnaturelles ; Taine dans la Philosophie de l’art l’a fait au moyen des créations de la plastique et n’a pas si mal réussi. Leconte de Lisle à son tour aurait pu chercher ailleurs que dans la religion ; la meilleure preuve, c’est qu’il a écrit deux ou trois poèmes entièrement profanes qui ne sont pas parmi les plus faibles : que l’on se reporte à Nurmahal, où il y a à peine quelques allusions religieuses, et à la Mort de Sigurd, où il n’y en a pas une, et qu’on dise si la vie originale de ces deux mondes différents n’y anime chaque vers. L’explication proposée ne rend pas compte de la préférence du poète. Elle vient de cette obsession, de cette fascination que le génie de Renan exerce sur les meilleurs esprits, et