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avec leurs petitesses, leurs compromis, leurs Dieux qu’on « entretient » par des sacrifices de bœufs « pour qu’ils gardent le royaume et la ville », comme dit Akhab, et qu’on menace de congédier et de remplacer s’ils n’accordent pas ce qu’on leur demande : de l’autre, le monothéisme des prophètes juifs, grandiose, exclusif et fanatique, que l’idolâtre redoute, et au niveau duquel il ne se mettra jamais, quelque sincèrement qu’il promette de se convertir. Cet exemple peut tenir lieu de beaucoup d’autres. Leconte de Lisle est, en poésie, un historien souvent profond ; et quand il cesse d’être historien, c’est — le Runoïa peut encore servir de preuve — que la philosophie intervient.

Voilà, peut-on croire, un premier obstacle écarté ; mais tout cela n’autorise pas encore à parler de sentiment religieux. On peut encore me dire : « Cette sorte d’intérêt est d’ordre purement intellectuel ; Leconte de Lisle, quand il présentait ses poèmes au public, aimait à se donner l’attitude d’un pur érudit qui reconstitue scientifiquement, comme on peut le voir par la préface qu’il a mise aux Poèmes antiques, avec ses déclarations sur Khiron, Niobé ou Bhagavat. » C’est bien vrai ; mais aussi n’y a-t-il là guère qu’une attitude, une petite affectation inspirée par l’esprit d’opposition systématique à la poésie sentimentale. Donner ici une réponse complète, ce serait anticiper sur l’étude elle-même ; tout au plus