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fait découvrir et qui, lui permettant de nier ce qu’il abhorre, lui fournit, pour ainsi dire, sa revanche sur le monde.

Dans les poèmes postérieurs, l’Illusion est le dogme définitif, consacré[1] ; le poète y croit. Il est inutile d’objecter le caractère violemment concret de sa poésie et de parler de matérialisme : concret ne veut pas dire matériel ; c’est une pure affaire de tempérament artistique, et si Leconte de Lisle, comme Flaubert, Taine ou Gautier, a étéé traité de matérialiste par des contemporains mal avisés parce que sa vision du monde est un peu brutale et que les aigles chez lui se nourrissent de chair et non à d’azur illimité, ce n’est pas une raison pour mettre en doute le sérieux de sa philosophie hindoue.

    « Ce qui répugne à la raison, c’est la Mâyâ dont s’enveloppe Bhagavat, c’est la misère et l’esclavage de l’Être suprême qui est [naturellement] libre. » À la raison : c’est la logique qui est en cause, et il ne s’y mêle pas la moindre sentimentalité de la créature qui souffre et que la souffrance indigne. Et Leconte de Lisle, selon son caractère, s’en tient strictement à cette pure question d’Être.

  1. Les Spectres [Poèmes barbares, p. 244] : « La vieille Illusion fait de nous sa pâture. » — La Dernière Vision : « L’illusion divine. » — Le Secret de la Vie [Poèmes tragiques, p. 152] : « Ô vieille Illusion, la première des causes. » La Maya, la Paix des Dieux, et textes nombreux où les mots tels que songe, rêve, mirage, qualifient le monde et la vie ; enfin, le néant divin de Midi.