Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La piété qui éclate dans ces vers métaphysiques, ici comme dans les hymnes de Bhagavat, est quelque chose de plus que la dévotion mystique des viçnuïtes à leur Hâri demi-mythologique : c’est le sentiment religieux de Leconte de Lisle se répandant en actes d’adoration à la vérité dernière que l’Inde lui a

    naissance. Mais Brahma ne comprend pas encore tout ; il a une question à poser. S’il n’y a qu’un Être unique, infini, non soumis au temps, à 1 espace, à l’action, aux qualités, qu’est-ce donc que tous ces êtres particuliers que nous voyons et qui sont multiples, finis, soumis à toutes les qualités ? Si c’est Hâri qui réside en eux, c’est donc qu’il y est soumis lui aussi ; et l’enseignement sacré se trouve en défaut. À quoi Hâri répond, selon la pure doctrine : tous ces êtres n’ont pas d’existence réelle, ils sont produits par mon illusion (Màyâ) ; au sein de cette création illusoire se développe le jeu des qualités, mais l’Être n’en est pas plus atteint que n’est un homme « qui, pendant son sommeil, s’imagine, par exemple, qu’il a la tête tranchée », comme il est dit dans le chapitre du Bhâgavata imité par Leconte de Lisle.

    Rien ne permet de croire, comme le voudrait M. Vianey, que c’est le « problème de la souffrance » que pose Brahma. Vidura dit dans le texte du Bhâgavata, III, VII, 6 : « C’est Bhagavat, l’Être unique, qui réside [dis tu], dans toutes les âmes : d’où viennent donc la misère et la douleur auxquelles les œuvres le condamnent [au sein de l’âme humaine] ? » Ce n’est pas le problème de la souffrance humaine, c’est cette objection classique qu’on fait toujours au panthéisme : si Dieu est en nous, c’est donc qu’il souffre en nous, ce qui est contraire à la nature de l’Être parfait. Si c’étaient nous seuls qui souffrions, Vidura n’y trouverait rien que de naturel. Ceci apparaît bien clairement dans la réponse de Maîtrêya, stance 9 :