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sentir ni douleur ni joie, s’anéantir de son vivant : telles sont les aspirations de cette sagesse à laquelle Leconle de Lisle demande son salut et dont il se pénètre avidement. Le grand calme dans l’extinction de la vie devient son idéal ; il l’introduit après coup dans la Fontaine aux Lianes[1], il en donne une expression grandiose dans Midi[2], il y revient dans la Ravine Saint-Gilles[3]. Mais le monument de cette philosophie, c’est Bhagavat. Dans les Ascètes, en 1846, le poète avait dit :


Ah ! fuir le toit natal, les tendresses premières,
Etouffer dans son cœur les souvenirs amis,
L’amour et la beauté, ces divines lumières…
C’était commettre un crime, et vous l’avez commis !



et c’est précisément ce que font les trois sages de Bhagavat, ce sont les mêmes paroles dont se servent Mailreya et Narada : « amour mortel », « souvenir amer ». C’est la contre-partie des Ascètes, le renver-

  1. Poèmes barbares, p. 168 : la strophe où se trouve ce vers :
    Repos du cœur, oubli de la joie et des peines
    est venue remplacer dans le texte de 1852 une strophe entièrement différente qui exprimait simplement la tranquillité et la « douce paix » de la nature, ce qu’exprime le premier vers de la strophe actuelle.
  2. Poèmes antiques, p. 293.
  3. Poèmes barbares, p. 177 :

    Heureux qui porte en soi, d’indifférence empli,
    Un impassible cœur sourd aux rumeurs humaines,
    Un gouffre inviolé de silence et d’oubli.