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aucune perspective au delà d’innombrables jours de travail à son métier ? Il était inutile qu’il se fît cette question, car il lui était agréable de les sentir dans le creux de sa main et de regarder leurs effigies brillantes. Elles étaient toutes à lui : elles constituaient un autre élément de son existence, semblable au tissage et à l’apaisement de la faim, — un élément ayant une nature tout à fait séparée de la vie de croyance et d’amour dont il avait été sevré. Le tisserand avait connu le contact de l’argent péniblement gagné, même avant que la paume de sa main se fût développée entièrement. Pendant vingt années, l’argent mystérieux avait été pour lui un symbole des biens terrestres et l’objet immédiat du travail. Marner semblait peu l’aimer aux jours où chaque sou avait pour lui un but ; car le but, il l’aimait alors. Mais maintenant que tout but était disparu, cette habitude de s’attendre à l’argent, et de le saisir avec un sentiment d’effort accompli, formait un sol assez profond pour recevoir les semences du désir ; aussi, comme Silas s’en revenait chez lui à travers les champs, au crépuscule, il sortit l’argent de sa poche et trouva qu’il brillait davantage dans l’obscurité croissante. Vers cette époque, un incident survint, qui parut rendre possibles des relations amicales entre lui et ses voisins. Un jour qu’il portait une paire de souliers à raccommoder, il vit la femme du savetier assise auprès du feu, en proie aux symptômes terribles d’une maladie de cœur et de l’hydropisie, — symptômes