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la machine, ainsi que du tisserand, dont l’attitude ressemblait à celle du forçat employé au moulin de discipline. Mais il arrivait parfois que Marner, s’arrêtant pour rajuster quelque fil irrégulier, s’apercevait de la présence des petits marauds. Quoiqu’il fût avare de son temps, il aimait si peu à être importuné par ces intrus, qu’il descendait de son métier, ouvrait la porte, et fixait sur eux un regard qui suffisait toujours pour les faire fuir de terreur. Car, comment croire que ces grands yeux bruns et saillants du pâle visage de Silas Marner, ne voyaient en réalité bien distinctement que les choses très rapprochées ? Combien n’était-il pas plus probable que leur regard fixe et effrayant pût lancer une crampe, le rachitisme, ou distordre la bouche à tout enfant venant à rester en arrière ? Ils avaient peut-être entendu leurs parents dire à demi-mot que Silas Marner avait le don de guérir les rhumatismes des gens s’il le voulait, et ajouter, plus mystérieusement encore, que, si l’on savait seulement bien prendre le diable, il pourrait vous éviter les frais du médecin. De tels échos étranges et attardés de l’ancien culte du démon, seraient peut-être encore perçus, même de nos jours, par celui qui écouterait attentivement au milieu des paysans aux cheveux gris ; car l’esprit inculte associe difficilement l’idée de puissance avec celle de douceur. La conception obscure d’un pouvoir susceptible d’être amené, avec beaucoup de persuasion, à s’abstenir d’infliger le mal, est la forme que le sentiment de l’invi-